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L’évènement Ukraine : les semences touchées de plein fouet

Florence Melix

Arrêt des usines, livraison de semences compliquée, baisse des surfaces de consommation et surtout de production de semences, la guerre en Ukraine impacte fortement le secteur des semences sur place, mais a aussi des répercussions en France. Par Blandine Cailliez

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Lorsque le conflit entre la Russie et l’Ukraine a été déclenché le 24 février dernier, la priorité́ des entreprises semencières françaises présentes sur place a été d’assurer la sécurité de leurs salariés. La coopérative Euralis, par exemple, qui possède une usine à Tcherkassy, à 200 km au sud de Kiev, avait anticipé l’escalade de violences en rapatriant avant même le début de l’invasion ses collaborateurs français et leurs familles. Dès le 24 février, elle a pris la décision de fermer son usine.

« Depuis le premier jour, notre priorité est de porter assistance à nos 110 employés ukrainiens avec lesquels nous maintenons un contact permanent, assure Limagrain qui possède deux sites administratifs et une station de recherche en Ukraine. » Mas Seeds dispose également d’un centre de recherche à Kiev et d’une usine de production de semences à Dniepropetrovsk, à 500 km au sud-est de la capitale Ukrainienne, et SESVanderHave, d’une unité de production de semences à 40 km à l’est de Kiev. « L’usine de SESVanderhave, qui est à l’arrêt, a été légèrement endommagée », précise Amandine Dupont, responsable communication institutionnelle du groupe Florimond Desprez. RAGT et Limagrain sont aussi présents avec des filiales commerciales et des stations de recherche.

« Au total, une quinzaine d’entreprises françaises ont développé des activités en Ukraine, de recherche, production ou distribution de semences, note Rachel Blumel, directrice de l’UFS (Union française des semenciers). Elles sont surtout concernées par des semences de maïs, de tournesol et de betteraves sucrières. » Depuis, les semenciers ont essayé de livrer au maximum leurs semences pour les semis 2022 depuis la France ou des pays limitrophes. Mais centres de recherche et unités de production sont toujours à l’arrêt, et la mise en place de la production de semences sur place, cette année, va être fortement perturbée.

Les semences sont probablement le secteur le plus touché par le conflit russo-ukrainien, avec celui des grains (lire pp. 51-53), mais les autres intrants sont aussi concernés. En engrais, la flambée des cours avait démarré avant le début de la guerre (lire pp. 18-19) et l’impact sur l’année 2022 reste mesuré. En revanche, les répercussions sur la campagne 2022-2023 risquent d’être beaucoup plus importantes. Côté phytos, le marché va être impacté de manière indirecte, via l’évolution des assolements et des cours, avec une tendance plutôt à la hausse (lire encadré p. 8).

Des « green corridors » mis en place

« Ensemble, les entreprises semencières françaises réalisent en Ukraine un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, dont 100 M€ d’exportations depuis la France, souligne Claude Tabel, président de l’UFS. L’Ukraine représente d’ailleurs la deuxième destination hors Union européenne des semences françaises, après la Russie. Pour le moment, leur activité a été impactée à hauteur de 20 %. » Si la distribution des semences aux agriculteurs était très compliquée au départ, elle a eu tendance à s’améliorer passées les deux ou trois premières semaines. Grâce aux « green corridors » mis en place par le gouvernement ukrainien, l’UFS estime que 60 % des commandes de maïs et 90 % de celles de tournesol sont arrivées à destination. Les semences de betteraves avaient été pour la plupart distribuées plus tôt. « Nous avons pu livrer les semences de betterave sucrière dans les temps à nos clients », assure le groupe Florimond Desprez. La situation est encore plus inquiétante pour la production de semences. Or les semences produites en Ukraine servent d’habitude à alimenter le marché ukrainien, mais aussi les pays d’Europe de l’Est.

En ce qui concerne la Russie, les semenciers français ont noté peu d’incidences sur leurs exportations, comme sur leurs activités sur place. Les semis de betteraves sucrières, tournesol et maïs sont en cours normalement. « Les semences, qui sont à la base de toute production alimentaire, sont par principe exclues du champ des sanctions internationales, remarque Limagrain. C’est le cas actuellement pour la Russie. Limagrain considère donc de sa responsabilité de ne pas interrompre, pour le moment, les flux engagés à destination des producteurs en Russie pour la campagne en cours. » En revanche, le groupe semencier français a suspendu le projet de construction d’une usine de semences en Russie qu’il avait inscrit dans son plan pluriannuel d’investissements.

Répercussions en France

Les sélectionneurs français sont impactés par les ventes de semences et leurs activités en Ukraine, mais aussi par les répercussions de la flambée des cours des grains sur les productions de semences en France. « Les agriculteurs français ont tendance à se détourner de la production de semences, car ils sont attirés par les prix élevés des céréales et des oléoprotéagineux de consommation, regrette Didier Nury, vice-président de l’UFS. Comme traditionnellement à cette époque de l’année, nous n’avions pas encore signé de contrats avec eux. Par exemple, en tournesol, nous ne pourrons produire cette année en France qu’environ 16 000 ha de semences, au lieu des 18 000 à 19 000 attendus. » Pour faire face à toutes ces difficultés, les semenciers ont demandé le 14 avril l’aide du gouvernement. Une dizaine de jours plus tard, ils estiment avoir été entendus. « Le ministère de l’Agriculture est très à l’écoute de nos préoccupations, reconnaît Rachel Blumel. Il coordonne tous les dispositifs mis en place par le gouvernement pour aider les entreprises qui doivent faire face à des difficultés liées à ce conflit. »

En parallèle, les sélectionneurs tentent de rassurer les agriculteurs multiplicateurs. Dans un message commun rendu public le 19 avril, l’interprofession semencière, Semae, La Coopération agricole et la Fédération du négoce agricole engagent l’ensemble des opérateurs qu’ils représentent à assurer « la juste prise en compte de l’augmentation des charges et de l’évolution du prix des matières premières, et ce, dans le cadre des négociations commerciales concernant les semences et plants, à tous les maillons de la filière. » Ils en appellent à la responsabilité et la solidarité de tous les acteurs du secteur agricole et agroalimentaire, « pour maintenir la production et le potentiel génétique des semences et plants, et être ainsi en mesure d’assurer la préservation de la souveraineté agroalimentaire de la France et la pérennité de cette filière d’excellence. »

Un appel à semer plus de tournesol

La tension sur les semences va être d’autant plus forte en tournesol que les organisations agricoles appellent à en semer davantage. Comme le souligne le groupe Avril, la France importe habituellement 130 000 t d’huile de tournesol par an. Il voudrait que les surfaces implantées en France passent de 700 000 ha en 2021 à 900 000 ha en 2023, afin d’accroître l’indépendance de la France en huile et en tourteaux. « Pour accompagner ce développement, nous allons augmenter, par l’intermédiaire de notre filiale Saipol, la capacité de trituration de tournesol sur le sol français pour la faire passer de 700 000 à 1 million de tonnes », a annoncé Jean-Philippe Puig, son DG, le 14 avril. Un message entendu par les coopératives, les négociants et les agriculteurs.

La Cavac avait réagi avant cela. Dès le début du conflit, elle a décidé de donner une impulsion à la culture du tournesol chez ses adhérents. « Les surfaces implantées cette année vont augmenter de 50 % et passer à 11 000 ha, explique Jean-Pierre Chopin, le responsable semences de la coopérative de Vendée. Cette décision nous a obligés à revoir nos plans d’isolement en semences. Si les agriculteurs produisent des cultures de consommation, ils empêchent la production de semences dans un périmètre autour de leurs parcelles de 800 m en moyenne. Mais même si nos surfaces de production de semences de tournesol baissent légèrement, nous n’avons pas été trop touchés par le désistement d’agriculteurs multiplicateurs. »

© B. CAILLIEZ - Alors que les besoins vont augmenter, les surfaces de production de semences de tournesol en France devraient reculer cette année à 16 000 ha, au lieu des 18 000 à 19 000 attendus.

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